Dans cette réponse d’expert je vous propose d’aborder comment faire face tactiquement et techniquement à cette situation qui finalement ne survient a priori que dans moins de 2% des traitements endodontiques !
La fracture d’un instrument endodontique a toujours été une source d’angoisse pour nous, praticiens. D’une part parce qu’il faut l’annoncer au patient, ce qui a été abordé dans la réponse d’expert n°14, et d’autre part parce qu’il faut gérer la suite du traitement !
Dans cette réponse d’expert je vous propose d’aborder comment faire face tactiquement et techniquement à cette situation qui finalement ne survient a priori que dans moins de 2% des traitements endodontiques !
En effet, la prévalence d’instruments endodontiques fracturés serait respectivement de 1,66% et 1,83% selon les deux études d’Iqbal et Tzanetakis. Ce qui correspond environ à une fracture d’instruments tous les 57 traitements.
Avant d’élaborer une stratégie de traitement, il faut comprendre les problèmes engendrés par une lime fracturée. L’instrument en lui-même n’a a priori aucune conséquence pathogène. Une étude a tenté d’évaluer la corrosion de deux instruments fracturés qui étaient restés au niveau intra-radiculaire pendant des périodes respectives de 2 ans et 4 ans. Aucune trace de corrosion sur les deux instruments n’a pu être mise en évidence. D’autres études ont évalués également la présence de Nickel dans les urines chez des patients présentant des instruments endodontiques NiTi fracturés. A nouveau, aucune trace de Nickel dans les urines, contrairement aux patients présentant des restaurations coronaires en NiCr chez qui le taux de Nickel urinaire est augmenté. L’évidence scientifique sur le sujet est faible, mais va tout de même dans le sens de l’innocuité des instruments endodontiques laissés in situ.
Le deuxième aspect de l’instrument fracturé est le fait qu’il bloque l’accès apical et qu’il empêche donc de mettre en forme et désinfecter correctement le canal radiculaire. Et il est là, le vrai problème. Comment finir le nettoyage et la désinfection du canal malgré la présence de l’instrument endodontique qui bloque le passage ?
Pour cela, il y a 4 grands axes de stratégie.
On peut tout d’abord décider de laisser l’instrument en place et d’obturer au mieux jusqu’à l’instrument. L’avènement des restaurations collées permet alors de surveiller et de pouvoir se laisser la possibilité de réintervenir de façon orthograde à travers la restauration collée si ça le devenait nécessaire. Dans ce cas l’état péri-apical doit être surveillé.
Une étude de cas témoins réalisé par Spili, évalue le taux de guérisons des dents sans image péri-apicale à 91,8% en présence d’un fragment d’instrument fracture laissé dans le canal et à 94,5% sans fracture instrumentale. Cependant pour les dents avec une image périapicale existante en préopératoire les taux de guérisons sont de 86,7% avec fracture instrumentale et 92,9% sans fracture instrumentale. La majorité des études montrent que la fracture instrumentale a peu d’influence sur le succès endodontique. Cependant, ce taux de succès diminue si une lésion endodontique pré-opératoire est présente.
Si une infection endodontique se développe dans un second temps, on peut décider de choisir soit la voie chirurgicale pour nettoyer la portion canalaire en aval de l’instrument fracturé, soit la voie orthograde. Par la voie orthograde, la première solution consiste à passer à côté de l’instrument fracturé alors que la deuxième consiste à déposer l’instrument. Le but est toujours le même … nettoyer la portion canalaire non traitée à cause du fragment d’instrument. Ces deux dernières solutions ne sont pas sans risques car elles peuvent aboutir à une perforation ou un stripping, ou encore un élargissement radiculaire trop important. Madarati a montré dans l’une de ses études que la dépose d’un instrument fracturé dans le tiers médian ou apical conduisait à une baisse de la résistance mécanique de la dent, directement corrélée à la perte de substance engendrée.
Donc, dès qu’on le pourra, on privilégiera la surveillance et la non ré-intervention si l’état périradiculaire semble sain. On évaluera cependant la possibilité de réintervention si une pathologie apicale devait survenir.
Si une lésion endodontique est déjà présente, la réintervention est justifiée. Dans le cas d’un fragment situé dans le tiers cervical, on tente le plus souvent la dépose qui est facile et plus prévisible.
Pour les instruments situés dans le tiers médian, on cherchera dans un premier temps à by-passer l’instrument voire à le déposer en cas d’échec du by-pass. Les instruments fracturés dans le tiers apical sont plus souvent une indication de chirurgie si une lésion est présente.
Cependant, toutes les situations cliniques sont différentes ; et dans chaque contexte clinique, le pronostic biologique et mécanique pèseront de façon importante dans notre prise de décision thérapeutique.
Alors, quels sont les éléments contextuels qui vont permettre d’orienter notre décision entre surveiller, bypasser l’instrument, déposer l’instrument ou de traiter chirurgicalement ?
Ces éléments concernent tout d’abord l’instrument: tel que sa longueur, son alliage, son type de section, et son mode de fracture. Un instrument qui s’est fracturé par torsion est vissé dans le canal alors qu’un instrument fracturé par fatigue est retenu par flexion dans le canal.
Il faut observer également la dent : sa forme, sa longueur, l’épaisseur et le degré de courbure radiculaire. La localisation de l’instrument plus ou moins profonde dans la racine, sa position par rapport à une éventuelle courbure radiculaire ainsi que la présence d’un deuxième canal rejoignant le canal principal après l’instrument fracturé sont des facteurs importants à prendre en considération.
La dent en elle-même est également importante à considérer. Sa position, son importance prothétique, la future restauration prothétique envisagée et donc la possibilité de réintervenir facilement par la suite. Autant de facteurs importants à prendre en considération.
Enfin le statut infectieux de la dent est un facteur important. Le fait de savoir si la dent était nécrosée ou vivante au moment de la fracture instrumentale, associée ou non à une pathologie péri-apicale.
L’ensemble de cette analyse est fait de façon routinière sur un cliché radiographique. L’apport du Cone beam dans ce genre de situation est très intéressant. Il apporte beaucoup plus d’éléments utiles pour la prise de décision par rapport à une rétro-alvéolaire.
Une fois la prise de décision thérapeutique faite, l’évolution de la situation clinique peut nous obliger à changer de tactique en cours d’intervention. Il est donc important de ne pas rester figer sur une option thérapeutique mais de s’adapter.
En effet un instrument fracturé dans le tiers apical peut avoir été by-passé avec succès puis être propulsé dans le 1/3 apical et de nouveau bloquer l’accès au canal et empêcher sa désinfection.
Pour finir, il est possible d’orienter sa tactique en fonction d’un arbre décisionnel comme celui suggéré par Madarati et proposé dans de nombreuses formations en endodontie. Comme tout arbre décisionnel, il a la limite de ne pas pouvoir être transposable à 100% des situations cliniques, mais il permet un bon apprentissage de la gestion tactique des instruments fracturés.
Voilà, l’essentiel est là, mais la réponse mérite largement d’être approfondie.
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