A un moment un peu compliqué de ma vie, un ami m’avait dit cette phrase magique : “Prendre une décision, ce n’est pas forcément compliqué, le plus dur, souvent, c’est de l’assumer”.
Phrase pleine de bon sens, mais je n’avais pas imaginé à ce moment-là que cela pourrait se transposer dans ma vie professionnelle.
Des décisions, nous en prenons plusieurs fois par jour. C’est notre quotidien.
Pour cette nouvelle réponse d’expert, je vous propose de discuter d’une décision que j’ai prise, et qui, sans discussion autour, n’aurait pas de sens.
La situation clinique. ?
Une patiente, âgée de 72 ans au moment de la consultation, est adressée pour avoir un avis endodontique.
Jusque-là, rien d’exceptionnel.
Examen clinique, prise d’un cliché radiographique et discussion avec cette charmante dame – une consultation classique.
Son questionnaire médical rapporte un antécédent d’AVC il y a 10 ans qui n’a finalement eu aucune séquelle. Depuis, elle prend quotidiennement 50mg de Kardégic tous les matins.
En bouche, on note la présence d’une fistule qui, d’après la patiente suinte régulièrement. La dent n’est pas douloureuse mais les suintements sont de plus en plus fréquents.
On note également, la présence de matériau dans la zone péri apicale et qui semble détachée de la racine. Une probable extrusion de matériau au moment de l’obturation canalaire.
La dent est restaurée par une couronne et un tenon scellé. La couronne est légèrement débordante. Sur le plan esthétique les bombés vestibulaires et palatins sont importants, et cette couronne se voit … très bien, lorsque la patiente sourit.
On note également la présence de spicules de tartre sur la dent adjacente.
Voici une situation clinique typique de celle que l’on rencontre tous les jours dans nos cabinets.
Ce qui motive la patiente à consulter n’est pas une demande esthétique de réfection de la couronne, mais le fait d’avoir une fistule qui suinte régulièrement.
Quelles sont les options thérapeutiques possibles que l’on peut proposer à la patiente ? ?
Le retraitement canalaire ?
Se pose alors la question de l’implication du dépassement de matériau au sein de cette lésion. Est-il impliqué dans le développement de la lésion ? Si non, peut-on considérer qu’il est une complication supplémentaire et que même s’il n’est pas à l’origine de la lésion, peut-il l’entretenir ?
L’objectif du retraitement est alors d’éliminer la cause, pour remettre la dent dans un contexte biologique favorable à la cicatrisation et régénération osseuse.
Pour cela, il faudrait démonter la couronne, ou au moins la perforer, éliminer le tenon en le descellant, puis désobturer le canal avant de le mettre en forme, le désinfecter puis l’obturer.
Pour assurer l’étanchéité coronaire, la couronne devra être remplacée.
L’avantage de cette approche est d’éviter un geste chirurgical qui peut s’avérer être stressant pour les patients.
Les inconvénients sont plus nombreux.
- La couronne est à refaire (ce qui, vue la configuration actuelle ne sera pas considéré comme un surtraitement).
- L’efficacité du traitement est difficile à anticiper. En effet, la présence du matériau qui a pu s’infecter secondairement pourrait entretenir cette réaction de défense matérialisée par la lésion intra osseuse, et rendre insuffisante cette approche et considérer à tort que le traitement est inefficace.
L’abord chirurgical ?
La seconde option thérapeutique est d’aborder le problème chirurgicalement.
Le geste, plus invasif que le précédent, permettrait d’éliminer la lésion, d’éliminer le matériau extrudé dans la zone péri-apicale et de traiter le canal a retro.
Les avantages de cette approche sont alors :
- Une intervention en un seul temps.
- Pas besoin de refaire la couronne et une seule séance de soins suffit.
- D’être sûr que rien ne peut compromettre la cicatrisation puisque le matériau extrudé serait éliminé.
Mais il y a également des inconvénients :
- La couronne, rappelons-le est débordante, et sur le plan esthétique peut largement être améliorée.
- Une simple obturation a retro permettrait de traiter 3 ou 4 mm du canal, mais laisserait au sein du canal une zone non traitée, emplie de bactéries.
- Cette niche pourrait alors, en cas de défaut d’étanchéité apicale engendrer une récidive de la lésion.
- Un acte par voie chirurgicale est souvent considéré comme invasif par les patients, et le traitement au long cours avec de l’aspirine ne fait qu’aggraver cette impression.
Le traitement « logique » devrait donc être :
- La réintervention par voie orthograde en première intention.
- La réfection de la couronne.
- Le suivi à 6 mois et à plus long terme.
- En cas d’absence de signe de guérison un complément chirurgical pourrait être envisagé.
Cette suite de soin est très logique pour nous. Mais pour les patients, peut s’avérer plus compliquée à appréhender. D’autant plus que le premier motif de la consultation n’est pas le remplacement de la couronne.
Et vous ? Vous feriez quoi ? Retraitement ? Chirurgie ? Les deux ?
Imaginez que je publie cette situation clinique sur un réseau social… Il y a de fortes chances pour que la majorité y aille de son conseil, et considère qu’une chirurgie de première intention serait une ineptie. Notamment à cause de la prothèse inadaptée, et bien sûr ils auraient raison.
Et pourtant …
Pourquoi avoir choisi la chirurgie ? ?
J’ai effectivement choisi l’intervention par voie chirurgicale.
Pourquoi ?
Tout simplement parce qu’il y a une chose qui n’a pas été dite dans la description de la situation clinique au départ. Et c’est cette chose qui m’a incité à faire un retraitement, mais par voie chirurgicale.
Si l’on regarde la radiographie postopératoire, on voit bien que le canal est traité jusqu’au tenon. Donc, tout est bien désinfecté et obturé. L’objectif que j’aurais cherché à atteindre par un retraitement conventionnel, est atteint. Le canal est désinfecté sur toute sa hauteur.
Et en plus, j’ai éliminé le matériau d’obturation. Toutes les chances sont donc de notre côté.
En revanche, la prothèse inadaptée est toujours en place, et toujours inadaptée…
Alors je vous parlais d’un élément qui a fait changer mon premier choix qui aurait été le retraitement et la chirurgie en seconde intention.
Cet élément on ne le retrouve jamais dans les publications, les ouvrages ou les paroles d’expert.
Tout simplement parce qu’il est très personnel.
En effet, cette patiente est veuve depuis quelques mois. Et cette couronne, elle l’identifie à la présence de son mari car elle se souvient quand elle l’a faite, qu’il était là pendant les soins. Quand elle vous raconte cette histoire, on voit dans ses yeux, que pour elle ce serait douloureux de perdre cette couronne.
On peut en sourire, ou même se dire : “Oui mais la couronne est débordante !”
La question à se poser alors, est :
➡️ ” Est-ce que la patiente sera plus heureuse avec une dent parfaite sur le plan esthétique, mais en ayant perdu celle à laquelle elle accorde une valeur sentimentale qui peut nous dépasser ? “
➡️ Ou ” est-ce qu’elles seraient moins malheureuses avec un sourire loin d’être parfait, mais avec l’impression d’avoir gardé un souvenir qui lui, lui est cher ? “
Le jour où j‘ai pris le bistouri, j’ai décidé de faire plus plaisir à cette patiente qu’à la communauté professionnelle qui s’interdit souvent trop de compromis.
A très bientôt !