#88 – Faut-il craquer pour les moteurs “tout en un” ?

Il y a bien deux équipements dont la nécessité ne fait plus débat en endodontie, c’est bien le moteur et le localisateur d’apex. Depuis une dizaine d’années, la plupart des constructeurs proposent des dispositifs “tout en un”.

Que faut-il en penser ? Est-ce qu’ils font aussi bien que le moteur plus le localisateur séparé ?

C’est cette question que je vous propose d’aborder pour cette nouvelle réponse d’expert d’Endo Académie.

A propos de la technologie embarquée.

Vous avez probablement entendu parler des n générations de localisateur d’apex.

Sans rentrer dans le détail, je crois pouvoir dire qu’aujourd’hui, tous sont équivalents en termes de fiabilité et de reproductibilité. Si vous voulez en savoir plus sur leur sujet, je vous invite à revoir la réponse d’expert n°11 où sont rappelés les petits détails qui font la différence.

La première société à avoir eu cette idée, est la société Morita avec le tri Auto ZX.

Morita, il y a 10 ans, était la société “leader” dans le domaine de la localisation d’Apex, avec son fameux Root ZX. Jusqu’à il y a quelques années, les endodontistes ne juraient que par la fiabilité de leur Root ZX. 

Le tri auto Zx était en moteur associé à un localisateur d’apex électronique dont la rumeur disait qu’il s’agissait de la même technologie. Il était le premier moteur sans fil, couplé à un localisateur, et il est resté le seul sur le marché pendant plusieurs années. Un des inconvénients qui lui était reproché, était l’impossibilité de dissocier la fonction “localisateur” de la fonction “Moteur”.

Quelques années plus tard, Morita revenait sur le marché avec un combo Moteur et localisateur d’apex séparé, mais qui pouvait s’associer. Il s’agissait alors du Dentaport.

Convaincu de l’intérêt du “deux en un”, les industriels se sont mis à tous développés leur moteur “duo”. A ce jour, la majorité des moteurs proposés sur le marché sont des moteurs combinés.

Et pourtant…

Si de prime abord, le fait d’avoir tout en un a des avantages, il ne faut pas non plus en oublier les inconvénients. Le premier inconvénient est que lorsque l’appareil tombe en panne (et ça arrive) et bien on perd les deux fonctions. Si cela peut être frustrant, cela n’est pas non plus l’inconvénient majeur

À propos de la fiabilité de la fonction “localisation d’apex”.

Un des avantages souvent avancés par les utilisateurs de la fonction combinée, est la notion de “sécurité” proposée par le débrayage de l’appareil lorsque la lime va au-delà du foramen. En fait, pour moi, il s’agit d’une fausse bonne idée. En effet, pour que l’appareil identifie le fait que la pointe est allée au-delà du foramen, et bien il faut que la pointe aille au-delà du foramen.

N’oublions pas que lors de la mise en forme, nous utilisons des instruments de forte conicité. Un simple dépassement de 1mm va créer un élargissement involontaire du foramen qui, sur le papier au moins, doit rester le plus étroit possible. Ainsi, si l’on utilise une lime de 25/100 de diamètre et de conicité 6%, le simple dépassement d’un millimètre de la lime induit un élargissement du foramen en lui donnant un diamètre de 31/100. Parfois plus. 

Pour pallier ce risque d’élargissement, il vous sera proposé de régler la fonction “débrayage” à 1mm du foramen. Encore une fois, il s’agit d’une fausse bonne idée. 

Rappelez-vous que ces appareils de localisation d’apex ne sont fiables qu’à l’affichage du “0”. Il ne s’agit pas d’appareil de mesure électronique, mais bien d’appareil de localisation de structure, en l’occurrence, la constriction apicale.  On ne peut donc pas se fier aux instructions numériques fournies par ces appareils.

Le localisateur peut indiquer que la lime se situe à 0.5mm du foramen, alors qu’il est en réalisation à 0.2 ou à 3mm.

Le fait de régler l’appareil pour lui demander de débrayer lorsque la pointe de l’instrument est à -0.5mm, n’a donc pas de sens, puisque rien ne permet de localiser la pointe précisément à 0.5mm.

Le manque de fiabilité par la mise en mouvement

Un des facteurs importants pour assurer la fiabilité de ces appareils de mesure électronique est l’immobilisation de la lime dans le canal. Pour être précis dans sa détermination, la lime est avancée tout doucement en direction apicale, avec des petits mouvements. La localisation est confirmée en laissant la lime à l’arrêt.

Lorsque le localisateur est utilisé en même temps que la fonction rotation ou réciprocité, la lime n’est jamais à l’arrêt. d’une part à cause du mouvement circulaire induit par le moteur et d’autre part à cause du mouvement de va-et-vient vertical imposé à l’instrument lors de la mise en forme pour éviter de créer de faux canaux.

Cette mise en double mouvement perturbe la fonction “localisation” et diminue donc la précision du geste.

Les ponts électrolytiques

La dernière génération de localisateurs d’apex est très fiable en milieu dit humide. Il n’est donc plus nécessaire de sécher les canaux avant d’évaluer la longueur de travail avec une lime manuelle. Cependant, il est nécessaire de vider la cavité d’accès de son contenu pour éviter la création de pont électrolytique créé par la présence de solution d’irrigation laissée en place dans la cavité d’accès. On est donc face à un dilemme. Celui de vider la cavité de son contenu pour optimiser la localisation de l’apex ou au contraire laisser cette cavité remplie de solution d’irrigation pour faciliter l’instrumentation mécanique du canal et obtenir une mise en suspension des débris.

Une incitation au “vice”

Enfin, le dernier inconvénient que je peux citer ici, est l’incitation induite par ces appareils, à pousser sur l’instrument. L’appareil indiquant en permanence la proximité de la constriction apicale du canal, le praticien peut être incité à pousser sur l’instrument en direction apicale pour atteindre la limite du canal. Le fait de pousser sur une lime en rotation augmente le risque de fracture instrumentale. Pourtant, qui peut se vanter de ne pas être tenté de pousser un tout petit peu quand l’appareil indique moins 0.2mm ou moins 0.3mm…

Un avantage quand même …

Ce procès un peu “à charge” fait ici sur ces moteurs combinés peut occulter leurs quelques avantages. À titre personnel, je n’en trouve qu’un seul, le démarrage automatique de la mise en mouvement de la lime lorsqu’elle touche la solution d’irrigation. Ça, j’avoue que c’est assez confortable. Pourtant, la mise en balance avec les inconvénients mentionnés ci-dessus, ne m’incite pas, à titre personnel, ni à utiliser la fonction combinée, ni à la conseiller. Pourtant, au quotidien, je continue à utiliser des moteurs combinés. Pourquoi ? Tout simplement parce que sur le plan ergonomique, cela a du sens. Un appareil de moins sur la table de travail, une liberté totale car moins de câble, etc. Mais… Je les utilise en fonction désynchronisée. Je vais dans un premier temps localiser la limite apicale de travail et en déduire la longueur de travail. Une fois que cela est fait, je sais que ma longueur de travail ne bougera plus, et je passe alors en mode “moteur seul”, pour la mise en forme. En conclusion, oui j’utilise des moteurs combinés, mais en dissociant ses fonctions. De nouveaux appareils se connectent dorénavant à des écrans déportés en Bluetooth, ce qui rend la lecture plus agréable et fiable. Si vous envisagez de faire l’acquisition d’un moteur combiné, le seul conseil que je peux vous donner est de bien vérifier que les deux fonctions sont séparées. Sinon, vous risquerez de le regretter un jour… A très bientôt.

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N’oublions pas que lors de la mise en forme, nous utilisons des instruments de forte conicité. Un simple dépassement de 1mm va créer un élargissement involontaire du foramen qui, sur le papier au moins, doit rester le plus étroit possible. Ainsi, si l’on utilise une lime de 25/100 de diamètre et de conicité 6%, le simple dépassement d’un millimètre de la lime induit un élargissement du foramen en lui donnant un diamètre de 31/100. Parfois plus. 

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