#95 : Faut il préférer le traitement en une ou deux séances ?
S’il y a bien un sujet qui a divisé et qui continue de le faire en endodontie, c’est bien celui du nombre de séances recommandées pour réaliser un traitement canalaire.
Faut-il utiliser une médication intra canalaire et différer l’obturation ? Est ce que le pronostic est vraiment amélioré si l’on fait le traitement en deux temps ?
C’est ce sujet que je vous propose d’aborder pour cette 95ème réponse d’expert d’Endo Académie.
La réalisation d’un traitement en une séance ?
Il est intéressant de noter que notre point de vue sur le nombre de séances nécessaires pour réaliser un traitement canalaire est directement lié à notre formation initiale.
Ce sujet, ou cette polémique, a finalement vraiment émergé que la réalisation d’un traitement en une séance est devenue possible, notamment grâce à l’instrument mécanisée
Avant, la mise en forme canalaire était tellement longue et fastidieuse à mettre en œuvre, que l’obturation était souvent une étape reportée à une séance ultérieure. A cette époque, la raison de différer l’obturation était essentiellement pratique.
Deux écoles de pensée : L’école Américaine et l’école Scandinave
Pourtant, déjà dans les années 80 se différenciaient deux écoles de pensée en endodontie. L’école Américaine et l’école Scandinave.
Connaître cette différence de concept, et en comprendre les aboutissements est important pour pouvoir se faire une idée sur ce sujet un peu “touchy”.
Dans l’école américaine, la mise en forme est faite jusqu’au foramen ou à la constriction apicale. Pendant tout le traitement, une lime de perméabilité est passée légèrement au-delà du foramen pour vérifier la perméabilité canalaire et la vacuité de la partie foraminale. L’objectif est de désinfecter le canal sur toute sa longueur, d’amener l’hypochlorite de sodium dans la région du foramen, quitte parfois à irriter le parodonte profond avec cet instrument.
Pour être complet dans le concept, l’obturation doit permettre d’obtenir même une légère fusée de ciment, qui vient confirmer que le foramen a bien été maintenu perméable tout au long de la réalisation de l’acte.
Dans l’école scandinave, le concept est très différent. Cette école se veut beaucoup plus protectrice du parodonte profond, notamment dans la région foraminale. Pour ce faire, la mise en forme est maintenue à l’intérieur du canal, en préservant une distance d’environ 2mm en deçà du foramen. Les deux derniers millimètres ne sont donc ni instrumentés, ni concernés par la solution de désinfection.
Pourtant, elle doit bien être désinfectée.
Et bien c’est là qu’intervient l’hydroxyde de calcium.
Lors de la mise en forme, il est créé ce que l’on appelle une boîte apicale. En résumé, il s’agit d’un élargissement important du canal jusqu’à un diamètre de 60 voire 70/100, en travaillant avec une longueur de travail courte de 2mm par rapport à la longueur du canal qui a été déterminée préalablement.
Cette boîte obtenue, une médication est mise en place dans le canal, la boîte créant ainsi un réservoir de cette médication. Les ions hydroxyles vont pouvoir diffuser dans la partie apicale qui n’a pas été préparée et la désinfection va donc pouvoir s’opérer..
Les choses sont donc évidentes. Si l’on travaille “court”, avec une boite apicale, l’intérêt d’utiliser de l’hydorxyde de calcium est indiscutable.
Alors pourquoi ce sujet reste une polémique ? La raison est assez simple.
Tout praticien qui pratique l’endodontie sait pertinemment qu’amener une lime de 60/100 de diamètre à la longueur de travail sur une racine courbe, est une chose très compliquée, pour ne pas dire souvent impossible.
C’est alors à ce moment-là que les raccourcis ont commencé à être fait. De 60 on est passé à 50 puis à 30/100
L’apparition de nouveaux concepts
Tel le téléphone arabe, de nouveaux concepts sont apparus, simplement par des distorsions de transferts d’informations au fil du temps.
Il n’était donc pas rare d’assister à des cours en formation initiale où il était devenu obligatoire d’élargir un canal à 30/100 et de placer un hydroxyde de calcium dans le canal afin de stimuler la cicatrisation d’une lésion apicale.
Au final, il était proposé un traitement en une séance pour les dents à pulpe vivante et en deux séances pour les traitements des dents aux canaux infectés et présentant une lésion apicale.
En y regardant bien, ceci n’a pas de sens. D’autant qu’il était recommandé de travailler à la constriction apicale.
Tous les concepts se mélangeaient, perdant finalement l’intérêt des deux concepts.
Sinon, que dit la littérature ?
Au final, si l’on prend tout ce qui a été publié sur le sujet, et bien rien de percutant. Les deux techniques donnent d’excellents résultats quand elles sont bien conduites. Attention, je le rappelle, la technique de la boîte apicale nécessite un élargissement important du canal. Dans ces articles, les dents sont préparées au moins à 45/100.
Parmi la littérature pléthorique, je retiens personnellement l’article de Waltimo publié en 200XXX, qui est une rare étude bien menée sur la comparaison one versus multiple visit.
Ce qui est intéressant dans cette étude, c’est que les auteurs sont tous connus pour avoir défendu le traitement en plusieurs séances avec renouvellement de l’hydroxyde de calcium. On s’attendait donc à une conclusion qui allait dans leur sens. Et bien non… au final, ils démontraient eux-mêmes qu’il n’y avait pas de différence.
Plus intéressant encore, ils ont effectué des prélèvements bactériens à l’intérieur des canaux.
- avant la mise en forme
- Après la mise en forme
Pour le groupe “traitement en deux temps”, ils ont refait un prélèvement en début de deuxième séance, et un dernier prélèvement après avoir rincé à nouveau le canal pour éliminer le médicament.
Mais alors, quels sont les résultats ?
Les résultats sont parlants.
Dans le groupe une session, la charge bactérienne avait considérablement diminué entre le début et la fin du traitement… c’est assez rassurant quand même. Mais elle n’est jamais totalement supprimée.
Dans le groupe traitement en deux temps, le prélèvement fait en début de deuxième séance mettait en évidence une charge bactérienne supérieure que dans les canaux analysés juste à la fin de la mise en forme à la séance précédente. Cela voulait donc dire qu’il y avait une nouvelle prolifération bactérienne dans le canal, alors que l’inverse était attendu… En revanche, une fois le canal rincé une dernière fois, le nouveau prélèvement montre une réduction massive de la charge bactérienne au sein du canal, qui s’approchait de 0.
Rappelons que les canaux étaient élargis à 45/100 au minimum.
Si la réduction de bactéries est flagrante avec la technique en deux temps, cette différence ne semble pas influencer l’efficacité du traitement.
Alors, même si le sujet continue à diviser, la majorité semble quand même s’orienter vers un traitement en une séance. L’intérêt d’utiliser une médication à l’hydroxyde de calcium ne se justifie que si le concept entier est mis en œuvre, c’est-à-dire avec une vraie boîte apicale.
Il y a bien entendu des exceptions qui confirment la règle.
La mise en place d’hydroxyde de calcium dans un canal est conseillée si le traitement canalaire ne peut être terminé dans la séance. Si l’obturation doit être différée on préférera remplir le canal avec un hydroxyde de calcium plutôt que de le laisser vide.
L’autre situation justifiant la mise en place d’une médication est lorsque le canal ne peut être séché et qu’un suintement persiste et remonte dans le canal. Ceci signifie la persistance d’inflammation exsudative dans la zone péri apicale, et personnellement je conseille de différer l’obturation. D’une part pour prévenir des douleurs postopératoires très fortes et d’autre part, car en milieu humide, il est impossible d’obtenir une bonne étanchéité.
Enfin, la dernière indication reconnue pour l’utilisation de l’hydroxyde de calcium est celle de l’apexification ou de la revitalisation… mais ça, c’est un autre sujet.
A très bientôt.
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