Cette semaine je vous propose non pas une réponse d’expert, mais une réflexion professionnelle.
Tous les jours nous sommes confrontés aux nouveautés dans notre profession. Nouveautés matérielles, techniques, voire conceptuelles. Doit-on systématiquement s’aventurer dans ces nouveautés ? Ou au contraire conserver notre savoir faire car il fonctionne.
C’est cette réflexion que je vous proposes, dans un format plus long que d’habitude, à savoir environ 15 minutes.
Laisser moi partager avec vous deux situations cliniques identiques, traitées par mes soins, à deux moments différents de ma carrière professionnelle.
20 années séparent ces deux traitements canalaires. Les objectifs n’ont pas changé, seule la technique opératoire est différente. Dans le premier cas, l’obturation des canaux a été faite en gutta chaude, avec la technique de Schilder, et dans le second cas, avec une biocéramique et un mono cône de gutta percha. Est ce qu’il y en a un meilleur que l’autre ? Est-ce que je soignais mieux mes patients il y a 20 ans qu’aujourd’hui ? Est-ce que je me laisse aller à la facilité ?
Ces deux situations cliniques illustrent parfaitement la question que je me propose d’aborder aujourd’hui, celle de l’attitude que nous pouvons avoir face au changement.
En présence d’une innovation, il y a deux grands comportements humains. Celui de foncer tête baissée pour être le premier et pouvoir faire savoir que l’on était dans le peloton de tête des utilisateurs (et je pense que je fais un peu partie de ceux là…) , ou au contraire celui de refuser et de dire « non » systématiquement, avec le risque au final de manquer une opportunité et de se sentir has been le cas échéant.
Le second comportement a cependant cet avantage d’éviter d’essuyer les plâtres et de pouvoir se rattacher au wagon lorsque le train a un peu avancé.
La difficulté dans ce cas est de savoir, quand faut-il monter dans le train pour ne pas le rater.
Des très grandes sociétés ont raté le train et cela leur a couté cher. Prenez l’exemple de Kodak. Fondé par Georges Eastman en 1881, cet employé de banque parti de rien a lancé les films souples de Photographies. Il monte 7 ans après la société Kodak qui deviendra l’empire que l’on a connu pour la photographie familial et professionnel.
En 1976 , Steve Sasson ingénieur de cette société invente le premier appareil photo numérique, et le propose comme innovation au comité exécutif de la société qui pèse alors plusieurs millions de dollars.
Ce projet n’aboutira jamais. Pourquoi ? Parce qu’il n’a pas pu répondre à la question qui lui était posée : « Pourquoi les gens voudraient ils voir leur photos sur une télévision. »
Personne n’a su répondre à cette question tout simplement parce qu’ils n’en avaient aucune idée.
Kodak ratera le virage du numérique. Steve Sasson restera l’inventeur de l’appareil numérique mais restera dans l’ombre, et on connaît la suite pour la société qui a périclité en moins de 5 années avant de se recenter sur d’autres thématiques, à savoir l’imagerie médicale notamment.
Une résistance au changement qui leur a couté cher !
Faut-il se jeter sur tous les nouveaux produits en considérant que l’innovation est systématiquement source d’évolution ? ou la sagesse doit elle nous pousser à attendre car toute nouveautés n’est pas forcément bonne. Mais dans ce cas, comment identifier les bonnes des mauvaises. Celles à suivre ou pas. La plupart d’entre nous ici a encore en tête l’histoire du Caridex ! La solution miracle qui était présentée par Patrick Poivre d’Arvor au journal de 20h en 1988 en tant que remplaçant de la turbine. Femme Actuelle, Santé Magazine titraient : « la fin de la roulette ». La presse professionnelle allait également dans ce sens. Pourtant, 30 ans après, la roulette est toujours là. L’heure de gloire du Caridex a été courte et beaucoup d’entre vous ont encore le Caridex dans les tiroirs Comme quoi, une innovation ne rime pas toujours avec révolution.
Pour le coup, ceux qui avaient résisté aux changements ont été épargnés par ce que l’on peut presque considérer comme une escroquerie.
Aujourd’hui encore, l’histoire du Caridex est souvent avancée pour justifier une résistance au changement.
Ce que nous vivons en odontologie, nous le vivons de la même façon dans notre vie au quotidien. La « résistance au changement » ou « la zone de confort » sont des notions qu’abordent tous les coachs ; les coachs de vie ou les coachs professionnels. Les exemples sont multiples.
Combien d’entre nous, ici présents, déclarions à la fin des années 90 : « le téléphone portable, aucun intérêt ».
Quelques années plus tard, personne ne voyait l’intérêt des tablettes ou encore des smartphones.
20 ans plus tard il y a plus de contrats téléphoniques que de français. 20 ans plus tard, plus personne n’achète ses billets de train autrement que sur son smartphone au risque de passer pour « has been ». 20 ans plus tard, on fait ses courses dans son salon sur sa tablette.
20 ans plus tard, les services hospitaliers mettent en place des programmes de desintoxication pour les addicts au téléphone.
Pourtant… ça ne servait à rien. On ne voyait pas l’intérêt.
On ne voyait pas l’intérêt parce que il n’y avait pas de besoin. Et la meilleure façon pour un industriel de créer un intérêt et bien c’est d’inventer le besoin et de le créer.
En tant qu’hospitalo-Universitaire, une de mes trois missions est de faire de la recherche. Rechercher d’abord de l’argent pour faire de la recherche scientifique.
Récemment, nous avons signé un gros contrat avec un industriel pour développer, enfin, un projet de recherche original.
Cela fait 6 ou 7 ans, que nous étions en discussion. 7 ans que nous avions une idée et que nous cherchions à convaincre l’industriel à nous supporter.
Quand j’ai posé la question à notre interlocuteur « pourquoi finalement avoir signé ? qu’est ce qui a changé depuis 7 ans, alors que notre projet est le même ?». Sa réponse m’a surpris et sidéré… « Nous avons signé car nous avons trouvé le marché d’application » m’a-t-il dit.
En résumé, ils avaient enfin créé la demande, le besoin. Il ne restait plus qu’à développer le produit. Il m’a fallu me rendre à l’évidence que le marketing guide la science. Est-ce choquant ? au fond, pas plus que cela, mais il faut l’assumer.
Cet exemple illustre parfaitement quelque chose qui est très bien connu par les vendeurs et les services marketing. Pour vendre quelque chose, il faut que l’acheteur potentiel y trouve la réponse à un besoin. Sans identification de ce besoin, le vendeur peut faire tout ce qu’il veut, le client ne l’écoute pas, et va même jusqu’à l’éconduire.
En gros, pour changer, il faut en ressentir le besoin.
Pourquoi par exemple changer sa technique d’obturation endodontique ? Pourquoi passer d’une technique de gutta chaude à une technique monocône avec des biocéramiques. A quel besoin vais-je pouvoir répondre dans le changement de mes protocoles.
Il suffit d’en identifier un seul pour soudainement trouver un intérêt au changement. Et c’est souvent cette étape-là la plus difficile à franchir.
Parfois, l’évidence est loin d’être celle que l’on voudrait.
Je me pose souvent la question, en tant qu’endodontiste et enseignant, pourquoi nous n’avons toujours pas trouvé l’argument qui fait mouche pour convaincre tout le monde de mettre la digue. Est-ce que l’on fait mieux avec ? a-t-on de meilleurs résultats ? La logique de désinfection endodontique ne fait que confirmer ce point.
Pourtant, la majorité des praticiens encore ne sont pas convaincus de l’utilisation et ne font donc pas le premier pas.
Remarquez prendre la digue pour parler d’innovation technologique, c’est quand même un comble.
Quel rôle joue la formation et comment peut elle nous inciter à changer ? ne nous pousse–t-elle au vice du changement permanent ?
Pourquoi par exemple changer sa technique d’obturation endodontique ? Pourquoi passer d’une technique de gutta chaude à une technique monocône avec des biocéramiques. A quel besoin vais-je pouvoir répondre dans le changement de mes protocoles.
Il suffit d’en identifier un seul pour soudainement trouver un intérêt au changement. Et c’est souvent cette étape-là la plus difficile à franchir.
Parfois, l’évidence est loin d’être celle que l’on voudrait.
Je me pose souvent la question, en tant qu’endodontiste et enseignant, pourquoi nous n’avons toujours pas trouvé l’argument qui fait mouche pour convaincre tout le monde de mettre la digue. Est-ce que l’on fait mieux avec ? a-t-on de meilleurs résultats ? La logique de désinfection endodontique ne fait que confirmer ce point.
Pourtant, la majorité des praticiens encore ne sont pas convaincus de l’utilisation et ne font donc pas le premier pas.
Remarquez prendre la digue pour parler d’innovation technologique, c’est quand même un comble.
Quel rôle joue la formation et comment peut elle nous inciter à changer ? ne nous pousse–t-elle au vice du changement permanent ?
Au cours d’un déjeuner Gérard Lévy, doyen de la faculté de Montrouge m’a fait prendre conscience d’une chose. La distinction qui existe entre l’information et la formation.
L’information, c’est expliquer ce sur quoi nous travaillons pour préparer l’odontologie de demain
L’information c’est expliquer par exemple comment les attentes professionnelles pourraient, un jour, changer.
Finalement, l’information fait partie de la formation. L’information est une forme de teasing de la formation à venir.
Assister à une séance d’information, c’est finalement venir nourrir sa curiosité et se soumettre à l’épreuve du changement. Ce n’est pas forcément repartir nécessairement avec un changement.
Au début, nous pouvons être peu réceptif. Et comme l’appétit vient en mangeant, l’intérêt grandit jusqu’au jour où l’on identifie le nouveau besoin ; c’est alors que nous sommes prêts à passer à l’étape suivante, celle de la formation.
Si la formation est bonne, alors le congressiste peut passer du Problème au Besoin. Il n’y a que lui qui peut l’identifier finalement.
Si l’on reprend l’histoire du Caridex, pourquoi ce produit a t-il fonctionné ?
Probablement qu’il permettait de répondre à un besoin. Celui de soigner les gens sans la roulette qui terni notre image. Si ce produit a marché, c’est parce que le besoin était là. Le problème, c’est que le produit ne répondait pas à ce besoin. Quelle désillusion.
Y-a-til d’autres facteurs influençant notre comportement ?
Ce qui est fascinant, c’est que de façon insconcsiente souvent, plutot que de s’avouer que cet objectif n’est pas identifié, nous nous retranchons derrière de bonnes excuses. S’enfermer dans cette fameuse de zone de confort où finalement on se sent bien car nous n’avons pas à faire l’effort de réfléchir.
Et puis au cours de notre vie professionnelle, on peut se faire surprendre. Une occasion se présente et alors que l’on était pépère dans son cabinet, nous arrive l’opportunité de grandir, de s’associer. Et c’est alors qu’on investit, que l’on se forme en faisant un DU alors qu’on s’était juré de ne jamais remettre les pieds à la fac.
Combien d’entre nous se sont mis à l’implantologie alors que 10 ans auparavant ne serait-ce que l’extraction d’une dent de lait justifiait d’adresser le patient à un stomato…
Pour rester dans les domaines de l’endodontie, regardons ce qui s’est passé avec la rotation continue en 1996. Qui, à cette époque, pouvait anticiper le succès de cette technologie ? Pourtant, à ce moment là, je me souviens aussi que toutes les raisons étaient bonnes pour ne pas faire le pas. L’histoire a fait le reste. Pourtant, est on plus « rentable » ? vopus connaissez la réponse !. Les prix des instruments augmentant presque de 10% par an.
Permettent-ils de faire mieux ? Sans aucun doute.
Des exemples qui vont dans ce sens, il y en a des tonnes. Le microscope oépratoire par exemple. Ou le CAD-CAM. C’est intéresssant le CAD CAM car les premiers CEREC sont sortis il y a plusieurs années et le marché a eu du mal à éclore. Pourquoi éclot-il aujourd’hui ?
Tout simplement parce que les résultats s’approchent de ceux que l’on obtient avec des techniques conventionnelles, et dans ce cas, la notion d’efficacité voire de rentabilité devient une cible intéressante. Combien d’utilisateurs nous disent : avec 10 éléments par mois, tu rentabilises ta machine ! »
Notre rôle en tant qu’enseignant, conférencier, bonimenteur, chercheur, c’est d’accorder finalement nos voies de recherche à la demande professionnelle. Il nous revient aussi d’être inventif, originaux et d’inventer ce qui n’existe pas pour, à terme, forcer cette demande.
Alors … Résister au changement, c’est bien ou c’est mal ?
Je n’ai pas de réponse binaire à cette question. Par contre si une fois que l’on a identifié les besoins et notre cible, nous restons dans la résistance alors c’est là que nous tombons dans la procrastination… et là, c’est une autre question. La procrastination, c’est bien ou c’est mal ?
Cette réflexion est évidemment très personnelle, et je serai ravi d’avoir vos retours et la vôtre de réflexion dans les commentaires.
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