Depuis leur mise sur le marché, une question taraude n’importe quel utilisateur… « Combien de fois puis je réutiliser mes instruments avant de les jeter ? » – Bien entendu en les stérilisant entre chaque patient.
Les industriels les conseillent à usage unique.
S’agit-il d’un simple argument commercial ? ou cela se justifie-t-il vraiment ?
Et dans ce dernier cas, qu’est qui le justifie ?
C’est le sujet que je vous propose d’aborder cette semaine dans la nouvelle réponse d’expert d’Endo Academie.
Il y a en fait deux problèmes derrière cette question. Il y a le problème mécanique, le risque de fracture qui augmenterait avec le nombre d’utilisation, et surtout, il y a un problème de stérilisation des limes.
Voyons dans un premier temps le risque « mécanique » lié à la réutilisation des instruments.
Il y a deux grands types de fractures pour un instrument endodontique.
La fracture à la torsion et la fracture cyclique.
La fracture à la torsion survient lorsqu’une partie de l’instrument est bloquée, et que le reste de l’instrument est toujours en action. Par exemple si la pointe d’un instrument est bloquée et si l’on poursuit sa mise en rotation, et bien il finira par se fracturer juste au-dessus de la partie immobilisée.
Pour la prévenir, il suffit de s’assurer que le canal est perméable et que son diamètre est supérieur à celui de la pointe de l’instrument. Si le canal est très fin par exemple, l’utilisation de pré-élargisseurs est conseillée. Pour en savoir plus, je vous invite à revoir la parole d’expert n°12 qui traite ce sujet en détail.
Ce qui nous intéresse plus, ici, c’est la fracture liée à la fatigue cyclique.
Comme tout alliage, bien que ce problème ne se limite pas aux métaux d’ailleurs, le Nickel Titane accumule des stress au fur et à mesure de son utilisation.
Ce stress est d’autant plus important que les canaux sont courbes, qu’ils sont étroits, que leur accès est complexe, etc.
Cliniquement, on sent lorsqu’un instrument « souffre » ou qu’au, contraire, il travaille sans contrainte. Mais ce ressenti est parfois trompeur.
Malheureusement, aucun système ni dispositif ne nous permet de quantifier ce stress accumulé. Ni au cours d’un traitement, et encore moins lorsque les instruments sont réutilisés.
Il y a un conseil qui circule, conseil qui dit que l’on peut utiliser ces instruments 10 fois. Je n’ai aucune idée d’où vient ce « 10 fois ». Je ne sais même pas s’il s’agit de 10 canaux ou de 10 dents… ce qui n’est pas la même chose.
Idéalement, il faudrait pouvoir matérialiser le stress accumulé au cours de la vie d’un instrument.
Il y a quelques années, j’avais proposé une astuce basique, qui vaut ce qu’elle vaut, mais qui peut vous aider dans votre organisation au quotidien. La seule règle est que les instruments d’une séquence ne doivent jamais être séparés. Ils commencent leur « carrière » ensemble et sont jetés en même temps. Même si au final les instruments ne souffrent pas tous de la même façon.
Sur le séquenceur, un instrument supplémentaire (un tire nerf par exemple) est ajouté. Au fur et à mesure des traitement, l’assistante place un stop de couleur à chaque utilisation du kit. A chaque couleur est attribué un code. Par exemple Vert = 1, Jaune =3 et Rouge =5 et noir =10.
Ainsi, en fonction de la difficulté du cas, il suffit d’annoncer à l’assistante la couleur du stop à mettre sur le tire nerf.
Le kit part alors en cycle de nettoyage et de stérilisation jusqu’à la prochaine utilisation.
Au cas suivant, lorsque l’assistante reprend le kit, il lui suffit de compter le nombre d’unités et de choisir un des kits en cours appropriés pour la dent à traiter.
S’il s’agit d’une incisive, simple, un kit déjà « avancé » pourra être utilisé. S’il s’agit d’une molaire, on préfèrera un kit avec peu d’unités. Si la dent est évaluée comme difficile, il est conseillé de prendre un kit neuf.
En calculant ces unités, on considère qu’à 10 unités, le système doit être jeté. Tiens, on retrouve le nombre 10…
Encore une fois, ce concept est rudimentaire, et il reste très empirique… rien de scientifique derrière cela. Mais il peut aider.
Un conseil cependant… quand on un doute, il n’y a pas de doute. Un doute sur la fragilité de l’instrument ? Changez-le de suite. Pourtant, on ne sait pas pourquoi, parfois on sent qu’il ne faut pas y aller et pourtant… on y va ! et la sanction est immédiate… La nature humaine quoi !
Depuis l’apparition de la réciprocité, la notion d’usage unique est devenue encore plus préoccupante. S’il est difficile d’évaluer le stress accumulé sur un instrument en rotation continue, il apparaît encore plus difficile et aléatoire de le quantifier sur des instruments qui subissent un va et vient permanent.
Les industriels étant particulièrement concernés par les risques de fracture, ils anticipent ces risques en recommandant, au moins sur leur documentation, l’usage unique. Ils vont même à mettre des dispositifs empêchant la stérilisation des limes. Cette fameuse bague qui gonfle à l’autoclave sur le WaveOne par exemple
Alors véritable précaution ou tout simplement effet « commercial » pour pousser à la consommation ? Honnêtement je n’en sais rien.
Pour terminer, voici la véritable origine de la recommandation l’usage unique de ces instruments. L’origine est britannique. En 2007, David Sonntag et Ove Peters* publie un article sur le nettoyage et la décontamination des instruments d’endodontie entre chaque patient. Pour tester ces processus, ils ont contaminé les instruments, puis ont procédé aux cycles conventionnels avant de vérifier la parfaite désinfection après nettoyage et stérilisation.
En conclusion ils démontrent que malgré tous les soins apportés, il est impossible de stériliser complètement des limes d’endodontie. Cette impossibilité est liée à la forme des instruments.
Cet article a évidemment fait prendre conscience à la profession du problème et du risque de contamination croisée.
Il aurait pu passer inaperçu, pourtant ce manuscrit a eu un effet incroyable, notamment en Grande Bretagne. La raison ? Les auteurs avaient utilisés du prion… de souris.
Le Prion a bien mauvaise presse en Grande Bretagne depuis les années 90 et l’affaire de la vache folle et la maladie de Creutzfeld Jacob.
Les anglais ont été particulièrement sensibles à ce manuscrit et dans un souci de précaution, le gouvernement a formellement interdit la réutilisation des instruments à usage unique dans un cabinet dentaire.
Justifié ou non ? Là n’est plus la question. A moins de préciser que le prion de souris est lui, inoffensif.
Alors, est-ce que tout cela justifie vraiment une utilisation à usage unique des instruments ? La question ne se poserait pas si le tarif des instruments n’était pas ce qu’il est, et que leur prix n’augmentait pas tous les ans aussi vite.
Je n’ai pas de solution, ni de conseils à donner. En milieu hospitalier, nos instruments sont à usage unique. Mais il faut prendre aussi en considération que le coût des cycles de stérilisation hospitaliers sont tels qu’au final, la question ne se pose plus de la même façon.
Voilà, une partie de l’essentiel et là, mais elle peut être approfondie.
A très bientôt.
* Sonntag D, Peters OA. Effect of prion decontamination protocols on nickel-titanium rotary surfaces. J Endod. 2007 Apr;33(4):442-6.
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